L’ARCHITECTURE MANIFESTE 2019
du 19 Novembre au 18 Décembre 2019
du 19 Novembre au 18 Décembre 2019
Douze agences sont invitées pour exposer autour de la pratique du projet, de sa conception même et non pas de son résultat, sous l’intitulé «Manifeste». Pour ce faire, nous faisons appel à certains architectes dont les pratiques se croisent et nous présentons une réalisation de leur part mettant en scène leur démarche. Il ne s’agit pas là de présenter une réalisation architecturale réalisée, en cours ou à venir. Mais de présenter, à l’intérieur d’un volume précis, l’expression d’une démarche, d’une pratique, d’un cheminement de pensée, de processus desquels émerge l’architecture. Seul le volume est donné, et aucune restriction de médium n’est imposé. Le contenu même de l’exposition se caractérise par ces réalisations. La mise en scène de ces « objets » permet de comprendre, de comparer, des pratiques d’horizons divers, dont pourtant les résultats nous semblent proches. Bref, cette idée de mettre en boîte son processus architectural nous semble intéressant lorsqu’il se retrouve confronté à d’autres.
Crédits photos: Hervé PERRIN ©
Notre travail au quotidien consiste à imaginer, dessiner et construire des bâtiments dans lesquels des gens vont habiter. Notre posture est à la fois ordinaire et ambitieuse : comment insérer ces lieux de vie dans leur environnement le plus durablement et avec le plus de justesse possible ?
Notre méthode de conception est faite d’allers‐retours entre l’échelle urbaine et l’échelle architecturale, façonnant le projet autour de la notion de domesticité. Cette approche n’est ni théorique ni conceptuelle mais plutôt pragmatique, sensible et itérative, à la recherche d’un juste équilibre entre les pleins et les vides. Au fil des projets, ce dialogue entre l’échelle de l’habiter et celle de la ville devient plus lisible, plus structurant. La conception du logement et ses usages est nourrie par les particularités du site. Parallèlement, notre réflexion typologique sur des modes d’habiter, divers et singuliers, dessine des façades et des volumétries variées.
Notre production s’inspire du tissu de faubourg métropolitain, à la fois lieu de vie du quotidien, territoire de travail, modèle spontané et inconscient. La façade domestique, au travers du dessin de la fenêtre et de la modénature, la question de la mitoyenneté support de diversité, la juxtaposition de volumes aux géométries et aux épaisseurs non standardisées, des rez‐de‐chaussée habités et partagés, des mises en œuvres traditionnelles et pérennes, sont autant de thématiques que nous explorons dans nos projets.
GHOSTBUNKER
Nos productions sont directement issues de leur environnement. Elles sont index, empreinte, sample. Ghostbunker, projet de surélévation d’un blockhaus est « l’icône » de cette démarche.
Lorsque nous avons formé BLOCK en 2000, le sampler avait déjà révolutionné la musique et avait bouleversé la manière de concevoir et de jouer de la musique pop. Au même moment, les outils de capture d’images, de post- production d’images et de 3D, internet, etc, étaient déjà très développés.
Ces outils changeaient notre façon de voir, de penser et donc de faire : l’échantillon – le sample, participait d’un travail de sélection ; il relevait de l’index, de la trace, du fantôme, créant ainsi, une nouvelle esthétique. Nous pouvions faire de l’architecture en « samplant ».
Tout d’abord abri anti-aérien lors de la Seconde Guerre Mondiale, puis plateforme très prisée de la contestation syndicale des chantiers navals dans les années 60-80, le blockhaus fut un temps abandonné, avant d’être investi en 1995 par un petit groupe d’étudiants en architecture, dont nous faisions parti. Il est, depuis la fin des années 90, occupé par ce groupe constitué en association- Blockhaus DY10, faisant vivre cette masse abandonnée en un lieu d’activités expérimentales dédiées à la création.
Une quatrième mutation est aujourd’hui en cours : passer de l’occupation précaire de ce lieu au statut juridique et foncier complexe, à la pérennisation sociale et économique des activités qui y sont liées.
Il s’agit d’opérer ici, un véritable sampling architectural et social.
Sur le registre du «fantôme», un squelette métallique et transparent duplique le gabarit du blockhaus et vient se poser sur ce dernier. Les épaisses parois ceinturant le bunker sont percées et deviennent des coursives périphériques qui desservent les étages du nouvel ensemble. Par sa position surélevée, ce double renforce l’idée de communauté d’artistes.
Les revenus locatifs de cette surélévation financent et pérennisent l’activité libre et indépendante du lieu.
Ce long processus de transformation dépasse la simple expression architecturale et questionne le montage habituel de ce type d’opération, en reconsidérant les couples traditionnels « maîtrise d’œuvre-maîtrise d’ouvrage/opérateur économique-opérateur social ».
Outre la nouvelle lecture matérielle qu’il suscite sur le territoire, Ghostbunker fabrique dans le paysage urbain et politique de l’Île de Nantes, une nouvelle valeur d’usage social, qui pérennise un lieu alternatif, un nouveau modèle architectural et économique basé sur l’autopromotion et l’autogestion.
Un casse-tête est un jeu qui se joue seul ou à plusieurs. Partir d’une situation initiale donnée pour aboutir à une situation particulière en composant suivant un certain nombre de pièces à assembler.
A la manière d’un casse-tête, la fabrication du projet est le résultat d’un assemblage complexe de données pour proposer une réponse.
Questions perpétuelles.
Usages, contexte urbain, enjeux de la maîtrise d’ouvrage, coût de construction, règles d’urbanisme, états des sols, réduction de l’empreinte carbone, paysage, temps court et temps long, territoire, évolutivité et transformation, pérennité, habitants, écologie, accessibilité, enjeux politiques, chantier propre, densité urbaine, ornementation, gestion des déchets, biodiversité, partage des espaces, intimité, générosité, lumière, patrimoine, production et consommation d’énergies, gestion des eaux, contexte social, chantier à faibles nuisances, réemploi, matériaux, mobilités, accessibilité, ouverture sur le quartier, sécurité incendie, système constructif, individuel et collectif, protection thermique, entretien, histoire, confort, technologies, occupation des sols, usages.
Réponses spécifiques.
Contexte : Cloche, diamètre vingt-trois centimètres, hauteur plafond vingt-quatre centimètres
Equipe : Olivier, Michael, Christelle et Stéphanie Sociologie : Pour tous
Usages : Jeu
Matériaux : Bambou
Coûts : Quarante trois euros et cinquante centimes Règles : Texte deux mille deux cents caractères, maquette sous cloche
Pérennité : Treize à quinze ans
Impact : Transformation, fabrication et transport neuf cent quatre-vingt seize kilomètres
Evolutivité : Sous-bock
Partage:Exposition
Confort : Selon capacité à réaliser
« C’est entendu, le projet s’inscrira en plan dans un cylindre et sera limité en hauteur par une coupole.
Il faudra bien y entrer, en sortir, s’y reposer, y manger et s’y instruire. Travailler, jouer peut-être, aimer, boire, fumer une cigarette, initier son enfant à l’art délicat du baby foot. Mais est-ce qu’on pourra y faire du sport et que verra-t-on de l’intérieur de ce qui se passe à l’extérieur ? Il va falloir réfléchir aussi à comment tient tout ce verre parce que la cloche, en tant qu’élément d’une maquette, c’est auto-stable, mais un projet en verre, de forme cylindrique avec une coupole, comment cela tient-il ? Prévoyons donc d’assembler les vitrages avec des structures, elles-mêmes tenues par des ossatures qui seront probablement différentes de la structure générale de l’ensemble. Il aurait été plus facile de travailler à partir d’une coupole demi-sphérique mais ce n’est pas le cas. On va faire avec.»
LES BAINS DE LA LUNE
L’oiseau lâche ses plumes sur une flaque continue nu.
Les activités de notre atelier se nourrissent parfois dans la mise en place et l’observation d’environnements et de phénomènes fragiles. Il s’agit ici d’une « fabrique » au format du cloître de la cloche: Les bains de la lune.
Les bains de la lune accueillent une lumière sans projection. Elle ne laisse de trace, ne s’oppose, ni ne retient ce qui vient. Dans ce surgissement, les phénomènes ne prêtent pas à conséquence. Une fois survenus, ils cèdent la place.
Observateur et observé s’éclipsent: Là où le pas fusionne ses embarras, le marcheur est sans abri. La lune sublime nos amnésies.
Dans cet enchantement, le chemin ne suit pas la ligne droite, ni le méandre. Et si nos pas consentent une direction, il n’est pas rare qu’ils ne bifurquent à la moindre occasion. Le déplacement devient alors procrastination qui nous expulse dans la vacuité d’une eau luni-solaire. C’est un précipité instantané dans les intrusions d’un réel qui fait surface et nous absorbe. Le sentier est nourri par les flux qui le traverse. Notre temps est sans objet.
Sortir de l’illusion ? Es-ce possible ? En quoi la furtivité de ce qui nous sollicite, dans cet écart à nous même, nous réveille-elle autant qu’elle nous éveille ? Dans cette dimension primitive de ce qui vient, ce qui se manifeste au delà d’une rencontre fortuite, est bien ce rendez-vous. La poussière de lune est un temps suspendu et sans objet
LE CHAMP DES POSSIBLES
Au-delà de l’opposition entre l’architecture rhétorique et « without rethoric » telle que définie par Alison et Peter Smithson, notre démarche se situe entre dans la recherche d’une architecture super normale – qui puise son inspiration dans un usage direct mais manifeste des éléments que le présent nous offre – et d’une architecture qui tend vers le sublime et cherche de nouvelles origines dans l’emploi direct de matériaux que le passé et le futur nous incitent à utiliser.
Nous nous attachons avant tout à produire des espaces multipliant les scénarios d’occupations et d’appréciations, des espaces outils, malléables, évolutifs, appropriables, sans produire d’image fixe.
Sans nécessairement magnifier sa présence ou révéler sa propre force, l’architecture doit permettre de multiplier les expériences, d’ouvrir le champ des possibles, de s’interroger, de fuir l’idolâtrie.
Nous cherchons à mettre en place des systèmes pour que puisse advenir dans un champ de vision et de réflexion une multitude d’images et de sentiments.
Comme un jeu de hasard, le poème inattendu ou le cadavre exquis émerge.
MILIEU
Excaver. Révéler les vestiges et mutations invisibles du milieu. Trouver du mening* dans l’histoire lointaine et récente. Tourner le dos à la spéculation et embrasser la révélation långsam* et progressive. Un milieu qui se révèle tout autant par son histoire distante que part sa geschichte* récente. Un récit intime fossilisé dans une succession d’histoires et une succession d’actions. Une géologie naturelle et artificielle qui se dérobe au premier regard pressé et se révèle à l’observateur patient. Des identités plurielles dont les traces demeurent dans couche du sol, en attente d’être racontées.
Racontées comme ce texte qui emprunte lui- même à des grammaires plurielles. Osez approcher, tourner, toucher pour retrouver votre .حقيقة
‘‘CONSOMMER « PLUS DE MATIÈRE GRISE » POUR CONSOMMER « MOINS DEMATIÈRES PREMIÈRES »’’
Informel ou institué, renouveau ou continuité de pratiques historiques, le réemploi prend aujourd’hui un sens nouveau à l’aune de la crise environnementale, de la raréfaction des ressources et de l’accumulation des déchets. Les motivations qui mènent au réemploi des matériaux sont variées mais ces pratiques partagent toujours une logique de bon sens, d’intelligence constructive et de frugalité face à l’acte de construire et d’habiter.
C’est la logique qui sous-tend, parmi d’autres, le chantier de réhabilitation de l’ancienne faculté des sciences Pasteur, à Rennes. Dans ce projet qui associe une école et un hôtel à projets dans un bâtiment patrimonial, nous avons trouvé l’occasion d’expérimenter et d’innover pour une architecture frugale, qui allonge la durée de vie des matériaux.
Ces ardoises constituent le bardage extérieur de la tisanerie, extension contemporaine au centre l’hôtel Pasteur. Identifiées lors de la rénovation du bâtiment lui- même, chacune de ces tuiles a été sélectionnée, et toutes ont une histoire propre, à l’opposé de la standardisation à l’oeuvre sur les chantiers et dans la construction.
Cette démarche expérimentale démontre que l’accès à ces nouveaux gisements de matériaux nécessite de nouvelles relations avec ceux qui démontent, déconstruisent ou récupèrent et ceux qui mettent en oeuvre, en détournant parfois. Ici, c’est le savoir-faire de l’artisan qui est remis au coeur de l’acte de construire, loin d’une action systématique et remplaçable.
Le réemploi de matériaux permet de développer une méthodologie nouvelle dans une logique qui valorise le travail ouvrier et redonne à l’architecte son lien indispensable à la matière.
En tant qu’architecte, combien de fois on vous a dit “ça, personne le verra ! ” ?
Et bien moi je le vois, et c’est précisément mon travail de le voir. Et si vous pensez ne pas le voir, votre œil lui le verra et votre perception de l’ensemble vous semblera bien imparfaite voire désagréable.
Ce n’est pas parce que vous ne le voyez pas que ce n’est pas important.
Prenez votre morceau de musique préféré.
Sauf à être un musicien éclairé, vous le trouvez beau, vous savez éventuellement dire pourquoi mais vous ne savez pas déchiffrer l’ensemble des instruments et leurs interactions. Et pourtant c’est beau.
C’est beau parce que chaque voix, chaque instrument est exactement à sa place, indépendant mais faisant partie d’un tout, d’une harmonie. Et c’est bien parce que chaque voix et chaque instrument est pensé, écrit et composé puis parfaitement réalisé que le tout forme un ensemble harmonieux.
Et vous n’avez pas besoin de le savoir, bien sûr si vous en prenez conscience, alors la musique vous semblera encore plus belle.
Si une voix est fausse ou décalée, vous ne savez pas forcément la repérer, vous ne le savez même pas mais pourtant, à l’oreille c’est moins harmonieux.
Tout est dans le rythme et la précision, de la composition mais aussi de l’interprétation.
En architecture c’est à peu près la même chose, pour l’oeil non averti, un bâtiment fait oeuvre et vous apparaît comme beau… Vous ne savez pas dire exactement pourquoi. Bien sûr la composition initiale vous plait, mais c’est bien parce que chaque détail est pensé et réalisé avec attention et avec soin que l’ensemble vous apparait alors comme beau.
Il n’est pas nécessaire de percevoir l’ensemble des détails pour apprécier la qualité et la beauté d’une architecture. L’architecte lui voit tout, il dessine tout et fait réaliser l’ensemble dans ce souci du détail, dans ce souci de la précision pour qu’apparaisse l’œuvre.
Ce n’est pas parce que vous ne le voyez pas que ce n’est pas important.
RECHERCHE APPLIQUÉE
Comment partageons-nous les découvertes, les recherches initiées en interne qui donnent naissance à des architectures perceptibles, publiques, vécues? Comment sont communiquées les traces qui permettent de mieux comprendre la manière dont ces créations ont été imaginées, conçues, testées, éprouvées? Ces éléments, trop souvent perçus comme des «restes» ou des impasses, sont d’ailleurs rarement montrés, la communication du projet privilégiant les images finies, figées.
Valorisés et replacés dans leur contexte, ces indices deviennent l’objet d’un nouveau récit. Au prisme du travail d’invention, le séquençage de fragments inhérents à la recherche appliquée nous amène à réinterpréter les concepts actuels d’échelle, de structure et de matérialité et à initier de nouvelles approches créatives.
À un point de vue rétrospectif et contemplatif pour préparer cette exposition, nous avons privilégié une approche active et prospective. Nous avons donc saisi cette opportunité pour partager et communique une nouvelle expérience. Le prototype est pour nous un outil d’idéation, d’expérimentation et de validation. Mais ce n’est que la première pierre, en quelque sorte le Manifeste, d’un long processus d’expérimentation.
Le prototype ici présenté illustre un projet de recherche pour la création d‘une paroi alvéolaire en bois reconstitué issu du recyclage des déchets de l’industrie. Inspirés par les techniques actuelles simples d’entrevous en bois d’une part et de la conception de mousses métalliques très techniques d’autre part, nous imaginons ici une structure tridimensionnelle en bois facile à mettre en
œuvre, entièrement constituée de matériaux biosourcés, légère, avec une bonne résistance thermique et mécanique et, de surcroît, adaptée aux formes complexes.
Nous avons souhaité, à travers ce processus de transformation empirique de la matière, partager notre appétence pour la recherche appliquée, le risque, la transgression, la transdisciplinarité et, de manière inconditionnelle – notre désir de FAIRE.
CE QUI NOUS LIE
Créer ses propres conditions de travail, réunir le maximum de pratiques intellectuelles ou artisanales dans un environnement bienveillant. Tel est le cadre que le collectif s’est inventé.
Notre pratique est résolument hybride. L’Architecture comme trame de fond, la conception-construction comme principe directeur et par-dessus tout la volonté de partager et apprendre.
Évoluer à la croisée des pratiques, avec l’innovation et la créativité comme stimulus, nous amène à développer une démarche coopérative. Chaque individu, chaque donnée contextuelle et chaque matériau deviennent des éléments constituants du processus de travail.
Cette pratique du “faire ensemble” au travers d’une association de personnalités diverses qui, agrégées, mais aussi parfois en confrontation, donne lieu à une formidable alchimie.»
Crédits photos: Charles SELLER – Fok-L ©