L’ARCHITECTURE MANIFESTE 2018
du 22 Novembre au 21 Décembre 2018
du 22 Novembre au 21 Décembre 2018
Douze agences sont invitées pour exposer autour de la pratique du projet, de sa conception même et non pas de son résultat, sous l’intitulé «Manifeste». Pour ce faire, nous faisons appel à certains architectes dont les pratiques se croisent et nous présentons une réalisation de leur part mettant en scène leur démarche. Il ne s’agit pas là de présenter une réalisation architecturale réalisée, en cours ou à venir. Mais de présenter, à l’intérieur d’un volume précis, l’expression d’une démarche, d’une pratique, d’un cheminement de pensée, de processus desquels émerge l’architecture. Seul le volume est donné, et aucune restriction de médium n’est imposé. Le contenu même de l’exposition se caractérise par ces réalisations. La mise en scène de ces « objets » permet de comprendre, de comparer, des pratiques d’horizons divers, dont pourtant les résultats nous semblent proches. Bref, cette idée de mettre en boîte son processus architectural nous semble intéressant lorsqu’il se retrouve confronté à d’autres.
Crédits photos: Emmanuel GROUSSARD et Hervé PERRIN ©
Certaines démarches peuvent-elles faire l’objet d’un manifeste ?
Cette question a été posée au sein de notre agence par Lou, stagiaire architecte.
LC : Selon vous, à quoi ressemblerait le manifeste de LA Architectures ?
AA : Se trouver dans l’idée du manifeste, c’est prendre une posture spécifique. Glisser vers le dogme, vers une idée présupposée de ce que doit être le projet ou le process vers le projet.
LG : Ce n’est pas simple de parler du travail de l’agence ; Il n’y a pas de règles prédéfinies, je dirais que notre démarche est intuitive.
FG : C’est vrai que notre approche est plutôt pragmatique. Nous ne sommes pas les seuls, cela s’inscrit dans un mouvement qui refuse que l’architecture s’impose à l’usager.
LC : Alors, entre intuitions et pragmatisme, est-il possible d’écrire un manifeste ?
AA : « Manifester » ne correspond pas forcément à notre approche, nous sommes dans une évolution permanente qui est difficilement descriptible et trop mouvante pour être ancrée dans une définition ou un style.
IV : Et quel serait l’élément qui définit l’agence ? Y-a-t-il quelque chose de transversal au niveau de l’engagement ou de la méthodologie ?
BF : Déjà, la démarche doit-elle tout le temps être la même ? Je pense que nous n’avons pas de recette pré- faite, l’adaptation au contexte – géographique, politique, financier, chantier – est constante.
AA: Notre démarche est plutôt basée sur la compréhension du contexte et l’écoute des acteurs. Nous sommes dans un processus itératif.
RB : Oui, chaque projet se construit au fur et à mesure, il s’adapte à l’ensemble des enjeux.
CDR : Ce n’est pas la philosophie d’une architecture manifeste.
RB : Ce n’est pas une architecture centrée sur elle-même, elle parle aux usagers.
CC : Souvent, à l’agence, le projet se nourrit des échanges constants de chacun, des différents regards que nous portons, et de nos expériences. Ça, finalement, c’est bien une méthodologie !
IV : Et quelle serait la posture de l’agence ? Diriez-vous que vous êtes engagés ?
BF : Être à l’écoute des acteurs, dans la compréhension de la réalité et ajuster les projets aux contextes, c’est déjà un engagement éthique. Par contre il faut toujours trouver un équilibre, pour réussir à innover il faut quand-même savoir prendre certains risques.
AA : En fait, je pense que l’enjeu est de savoir pour qui on travaille. Il y a la maîtrise d’ouvrage, mais aussi les usagers et un tout plus grand, la ville. Si nous sommes au service de notre MOA, le projet lui, doit être au service supérieur de la ville et de l’environnement.
Je pense que c’est peut-être là notre travail : répondre au programme et inclure en même temps le projet dans un ensemble plus grand que la seule commande qui est faite.
CC : Comment résumer tout ça ?
LG : Dans notre démarche, nous essayons de répondre à tous les enjeux. Le projet s’adapte à son contexte et aux usages, et non l’inverse. Il y a quand même quelque chose en plus dans notre travail que vient lier ces enjeux pour parler d’une émotion, fabriquer une architecture, raconter une histoire. Camille a parlé tout à l’heure d’une délicate attention. Ce pourrait être aussi une délicate intention.
«Made in nous» – Créativité & joie dans l’architecture
On met nos corps dans des chaussettes, puis les chaussettes dans le pantalon. On met le pantalon bien assis sur la chaise, et le tout dans les quatre murs de la maison. Les objets autant que l’architecture nous manipulent et nous tordent, ils nous dévient et nous collent à la peau. De l’habit jusqu’au plancher, de la fourchette à la fenêtre, le prêt-à- porter de nos cultures façonne nos mouvements, nos jours et nos nuits. Pour nous, l’architecture se joue le plus souvent à cette échelle du domestique, dans le détail d’une poignée de porte faite-maison ou une tenture que l’on accroche au mur pour se sentir chez soi.
On se reconnaît dans le non-standard, l’improvisé parfois, et c’est aussi dans cet interstice du fait- maison que l’on peut laisser les gens s’engouffrer, pour qu’ils puissent s’investir dans la conception comme dans le chantier de leur environnement quotidien. Puisque nous lions la conception et la réalisation sur le lieu même de nos chantiers, nous offrons la possibilité aux personnes impliquées de s’approprier ces espaces, souvent publics, au moins partagés, par cette échelle du faire. L’ornement n’est plus un vieux débat d’architecte moderne mais la possibilité même d’habiter quelque part, de s’attacher à un territoire, de s’y inscrire dans un langage que l’on a soi-même bricolé pour l’occasion, un «made in nous» ad hoc.
L’échantillon présenté ici a été réalisé pour le Pavillon Français sur une conception originale de Quentin Bodin (Super Terrain) et Diane Bousquet, dans l’atelier de sérigraphie ouvert à la Caserma Pepe en mai 2018.
Que ce soit dans nos locaux de l’Ambassade du Turfu à Marseille ou encore à la Caserma Pepe, ce «lieu infini» ouvert par les commissaires de la 16ème biennale d’architecture de Venise, nous nous plaisons à monter des ateliers ouverts, sans rentabilité, parfois sans autre objectif que de stimuler créativité et joie. Par ces expérimentations, nous habitons nos chantiers, nous faisons lieu par un esprit créatif aussi vivant que collectif.
PR O JE C T I L E S
Archipel de lettres avec des espaces typographiques aléatoires, distendus et démantibulés, mais surtout élastiques.
Groupe pluridisciplinaire, composé d’architectes et de designers, structure polycéphale dont le barycentre est en mouvement permanent. Le groupe pratique les croisements d’échelles et de sujets. Bâtiments neufs ou réhabilitation, musée ou logement social, mobilier, luminaire, scénographie, paysage, et parfois des dispositifs artistiques, Projectiles fait le grand écart en permanence.
Direction
Notre posture au quotidien tient beaucoup au concept de Direction, impulsé à l’origine par le musicien Miles Davis dans les années 70, durant sa période électrique. Le processus consiste à impulser une trajectoire pour laisser les choses arriver, se coaguler, et tant mieux s’il y a des zones floues ; Il permet aussi de se laisser surprendre afin d’éviter les effets de style.
Ce processus, à l’origine musical, est plus complexe pour l’architecture. La trajectoire n’est pas linéaire. Elle est brownienne. Elle se plie selon les événements et les données qui arrivent au fur et à mesure. Le mouvement s’enrichit. Le chemin prend de l’épaisseur.
Les plis et les choses se cumulent. Un dédale se crée. Le danger c’est de s’y perdre, d’oublier la direction. Mais il suffit que quelqu’un change de posture, déplace le regard pour retrouver un horizon.
Le bruit de la matière
En février 2009 l’atelier RAUM travaille sur un concours de scénographie pour une exposition à la Belle de mai, à Marseille.
Dispositif modulable et transposable, la question y est générique et significative des enjeux économiques et environnementaux contemporains ; comment être évolutif tout en étant économe ? Comment associer singularité spatiale et programme générique ?
Du constat d’une matière existante relativement universelle dont la mise en œuvre peut-être pensée de manière globale, ce travail a initié une approche des processus de transformation de la matière comme objets transitionnels entre singulier et générique.
Mettre la matière, sa transformation et sa mise en œuvre au centre de l’architecture, c’est déplacer le sujet vers l’objet lui même.
Faire c’est penser, et c’est dans l’objectivité de la matière elle-même que peut être recherché la possibilité du contemporain, la singularité de nouvelles situations.
Frugalité, matière et détail.
Trois intentions qui caractérisent les projets et la production de l’agence depuis sa création. Nous accordons une grande importance à maintenir une certaine sobriété dans les usages et les espaces qui définissent le projet. Celle-ci est contrastée, enrichie par un travail fin du détail, avec des matières simples et brutes.
Tout au long du processus de création et de construction, nous nous appliquons à maitriser les curseurs de nombreuses variables : enjeux politiques, financiers, techniques, normatifs… La maitrise de ces paramètres, qui doivent être assujettis au projet architectural et à son propos, est pour nous une constante que nous recherchons dans chacun de nos projets.
“Premières Œuvres” est une série des premières œuvres réalisées par les starchitectes.
Du génie à la notion de style, de l’accès à la première commande à la question du client, cette série se propose de faire redescendre sur le sol des vaches tous les architectes perchés au panthéon de l’architecture accompagnés de leurs bâtiments icônes.
Dans cette perspective, FREAKS tente de “tuer” les grands-pères de l’architecture moderne afin de les démythifier en représentant ces premières réalisations cachées ou assumées en maquettes, toutes à la même échelle, en impression 3D blanche.
Mies van der Rohe – Maison Riehl 1906 14x15x12cm
Impression 3D
2018
Cette maquette a été montrée à la Galerie Médicis à Paris et au salon international d’art contemporain YIA à Paris en octobre 2018.
Venise s’enlise par l’action des vagues que produisent les bateaux de croisières. Moderne, vernaculaire, industriel, historique, notre patrimoine se déplace comme une île en mal d’étendard. Ne pas trop démolir, détourner les dynamiques de destruction motivées par un coût de construction compétitif.
Face à l’extinction des espaces publics, la politique semble renouer avec le goût du partage, de l’horizontalité, de la participation habitante. Comment rendre cette dynamique créative sincère ? Comment la rendre partie intégrante du processus de conception ?
Nous souhaitons une ville fondée sur l’incertitude, l’ambiguïté pour nourrir l’invention programmatique, l’oeuvre collective. Rendre possible l’évolution des formes, être attentifs aux matériaux employés, à leur mise en oeuvre, ré-inventer des méthodes.
Nous souhaitons tisser des liens, créer les conditions du rapprochement en ménageant la distance nécessaire entre les différentes entités. Accueillir le futur, abolir les frontières, transformer le tunnel en jeu pour enfant, regarder ce qui nous entoure sans mettre de côté.
Nous porterons donc ce deuil, célébrerons cette ambition mortifère.
Ces cent-quatre-vingt-deux projets chimériques nous auront permis d’explorer des pistes imprévues et d’arpenter des chemins inconnus.
Ces défaites répétées nous auront apporté leur contingent de satisfactions, de lueurs insolites,
d’occasions manquées,
d’espoirs sans cesse renouvelés,
d’une envie jamais démentie ;
dix ans de regrets éternels et à venir.
Ni Fleurs, Ni Couronnes.
L’outil
Pensée outilleuse. Outil manuel. Il est question de tenter de plier, de soumettre l’objet – immatériel, comme matériel – à notre volonté.
Celle qui classe, qualifie, tord l’idée.
Celle qui pose, dessine, conçoit.
Celle qui contraint la matière, l’assemble, la transforme.
Du bel outil conceptuel qui ordonne et aide à concevoir, au petit outil d’atelier, qui aide à fabriquer, à monter, le sans-grade, éliminé avant même la livraison de l’objet, nous les créons, les manions, les aimons.
La poignée de transport est à la croisée de tout notre bel outillage.
La voici.
Enigmatique, simple et belle.
ARCHITECTURE NARRATIVE _
« Nous longeons les méandres de la Chère depuis déjà 10 minutes. J’essaie tant bien que mal de suivre cette femme qui 15 jours plus tôt m’avait contacté. Au téléphone, elle me parlait de son projet sans pour autant trop m’en dire, mais suffisamment pour éveiller ma curiosité : «Venez sur place, vous me donnerez votre avis.» De passage dans la région, me voilà ainsi à enjamber ronces et orties pour voir une ruine dont je ne sais rien, si ce n’est l’attachement affectif de son propriétaire.
Un dernier fossé à franchir, et le panorama se découvre devant moi. Une bâtisse à pierre de taille se dresse fièrement au pied du barrage de la douce et calme Chère. Ici, le temps semble suspendu, la nature reprenant ses droits dans la chair des vestiges encore debout.
Le barrage est intact, les deux pignons encore en place donne à voir le volume originel de l’ancien moulin. Au fil de notre parcours le silence règne, il se dégage une sérénité en ces lieux marqués par l’empreinte du temps.
«Je vous écoute Madame.»
Extrait du projet « Moulin du Châtelier à Sion-les-mines » _ TRACKS
Un projet c’est avant tout une histoire,
Celle de l’exploration progressive d’un site. Une expérience sensible consistant à connecter acquis, références, découvertes afin de se confronter et d’interpréter au mieux un contexte à apprivoiser.
Celle d’une démarche tendant à révéler et/ou à affirmer le caractère de nos territoires au travers de l’architecture. Il s’agit d’explorer le contexte en partant du « déjà là » de manière à poursuivre le tissage de notre environnement sans en faire table rase. L’identité locale, le génie du lieu, la révélation des richesses d’un site sont pour nous des moteurs de réflexion qui définissent une prise de position concernée, un dialogue fluide et affirmé avec l’histoire dans laquelle évolue le projet. Cette approche se nourrit de références et de disciplines variées gravitant autour de notre profession, et nous permettant d’établir un retour critique sur notre rôle.
Celle aussi d’un travail expérimental, une mise en relation d’éléments parfois antinomiques mais qui tendent vers un scénario commun ; la production d’un projet ancré dans une pensée ; résultant d’un travail d’assemblage, de hiérarchisation, de choix et de composition.
Celle surtout d’une narration sensible, qui va devenir la trame de fond de notre raisonnement. L’histoire continue et infinie, nous invite à penser le futur de manière dynamique. Tel un artisan conteur de passage, nous nous inscrivons dans un récit initié par le site et ses réalités. Chaque projet esquisse les prémisses d’une nouvelle histoire et s’invente dans la continuité d’un mouvement, suscitant curiosité, interaction et dialogue.
Dans notre pratique, nous nous mettons en quête de ce que signifie « habiter ».
Nous ne cherchons pas à revendiquer un art de l’espace avec une orientation idéologique définie clairement. Chaque projet est une nouvelle rencontre, dans laquelle nous nous laissons la possibilité d’approfondir ou d’interroger notre approche et notre méthodologie.
Abordant l’art, l’architecture et le design avant tout comme un processus plus qu’une finalité, il s’agit pour nous d’ex- périmenter des nouvelles formes de conceptualisation et de fabrication des espaces et des objets qui les composent. Nous valorisons également l’approche technique qui nous amène à penser le projet dans un objectif toujours plus poussé de simplicité, d’économie et de bon sens afin faire le lien entre la culture du projet et ses résolutions formelles.
« À l’heure où les architectes et les maçons ne rencontrent plus assez les habitants des espaces qu’ils dessinent et ne connaissent quasiment plus le site sur lequel ils sont amenés à bâtir et où les habitants donc, n’ont plus idée en retour des conditions de fabrication et raisons d’être des architectures qu’ils habitent, l’idée même de mettre en relation bâtir et habiter est devenue étrange, voire dérangeante ». Mathias Rollot
Face à la standardisation de notre cadre de vie, en nous confrontant à des singularités d’approche, le design ou le geste artistique contribuent à nous questionner, à éveiller nos consciences et notre regard critique.
En prenant garde toutefois de ne pas transformer ces pratiques, en un nouveau produit de consommation, on s’apercevra qu’elles peuvent aussi incarner concrètement un projet de société commun ou un engagement partagé. Cette invitation au partage est le point de départ de chacun de nos projets, afin d’encourager et de légitimer la créativité, pour « construire » une culture commune. Cela nous permet de redonner du sens aux choses et d’envisager la production comme une richesse investie d’une charge sensible, intellectuelle sociale et/ou culturelle.
Sciambur
« Le dessin en est ainsi : ce sont quatre rampants d’escaliers, qui ont quatre entrées, c’est à dire chacun la sienne, et vont montant et tournant l’un au-dessus de l’autre, en sorte qu’étant placés au milieu du bâtiment, ils peuvent desservir quatre appartements séparés, sans que de l’un on puisse passer dans l’autre. Et parce que le milieu est vide, on voit monter et descendre tout le monde, sans que personne vienne à se rencontrer. »
Andrea Palladio, Les Quatre Livres de l’Architecture, 1570
L’architecture n’existe pas…
Elle est un personnage de fiction inventée par et pour l’esprit. Elle est un dispositif spatial au service de la narration. Elle devient une infrastructure du temps et du mouvement. Quand structure spatiale et structure narrative se confondent, elles éduquent le regard et permettent de comprendre et d’explorer les potentialités de mise en forme qu’elles génèrent.